Le Temps selon Aristote

 

Le Temps selon Aristote

1. LA DÉFINITION ARISTOTELICIENNE DU TEMPS.

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Persée (BY:

L'étude du Temps fait suite chez Aristote à celle de l'Espace, contenue dans les chapitres 1-9 du livre IV de la Physique qui traitent du lieu et du vide, et elle s'ouvre de la même façon. L'auteur se pose au sujet du Temps la question de savoir s'il est : est-il du nombre des choses qui sont, ou de celles qui ne sont pas ? (TtOtepov tõy Otwy TOTIV tūv pen Ovtov); ensuite seulement, il se demandera ce qu'il est, il s'interrogera sur sa nature (elta tiç qúolç aůtou) Phys. IV, 10, 2176 31-32).

Mais le sens commun, qui se prononçait si hardiment pour la réalité de l'espace, se montre perplexe à l'égard du Temps ; c' qu'Aristote met en lumière en développant des raisons qu'il appelle exotériques, c'est-à-dire empruntées aux opinions courantes. Il semble en effet que le Temps, ou bien n'est rien du tout, ou du moins qu'il n'a qu'un être précaire, une réalité indécise. Le Temps, dans son ensemble, se compose du passé et de l'avenir ; et quelque portion du Temps que l'on considère, ce sont là les deux grandes divisions à l'une desquelles elle doit appartenir, ou entre lesquelles elle doit se répartir. Or, de ces deux divisions, l'une, le passé, n'est plus; l'autre, l'avenir, n'est pas encore ; aucune d'elles n'est. Comment donc ce qui est composé de parties qui ne sont pas, comment cela pourrait-il avoir part à l'être ? (ibid. 217b 32 - 218a 3).

Mais le présent ? dira-t-on ; n'est-ce pas là dans le Temps une division qui est ? Sans doute, du présent, par opposition au passé et à l'avenir, on peut dire qu'il est ; mais il n'est pas une division, une partie du Temps. Le présent, limite du passé et de l'avenir, se réduit en effet à un instant ; c'est l'instant présent (TÓ Võv). Or, l'instant n'est pas une partie du Temps ; le Temps, on l'admet (Soxet), n'est pas plus composé d'instants que la ligne n'est composée de points. L'instant, comme le point. n'est pas une partie

aliquote, mais un élément infinitésimal ; le Temps, la ligne, ne sauraient être mesurés par un nombre défini d'instants ou de points (218a 6-8). Mais, il y a plus ; l'instant présent, où paraît se concentrer toute la réalité du Temps, n'a pas, n'étant qu'instant, l'identité essentielle du point. L'instant, se demandera-t-on, demeuret-il toujours le même, en sorte que ce serait la perpétuité de l'instant qui ferait la réalité du Temps ? ou bien devient-il sans cesse autre, le Temps étant fait alors d'une succession d'instants ? Dans cette question se résume tout le problème de l'être du Temps. Or, ramené à ces termes, le problème s'avère insoluble, aboutit à une aporie. La nature fuente du Temps se révèle inintelligible ; et l'on ne saurait décider s'il est ou s'il n'est pas, dès que l'on a reconnu que l'instant, où paraît s'absorber toute la réalité du Temps, est l'essence contradictoire. Dira-t-on, en effet, que l'instant demeure toujours le même ? Mais c'est faire toutes choses simultanées, c'est nier l'écoulement du Temps. Dira-t-on, au contraire, qu'il devient sans cesse autre ? C'est se heurter encore à d'insurmontables difficultés. Le Temps, en effet, est continu, comme la ligne ; il renferme, dans Cette hypothèse, une infinité d'instants, comme la ligne une infinité de points. Mais à la différence des points qui coexistent dans la ligne, les instants dans le Temps de succèdent, ce qui suppose que continuellement un instant nouveau se substitue au précédent. Or, quand donc peut s'effectuer une telle substitution ? Le Temps étant continu, les instants en nombre infini, jamais on ne saisira l'articulation de deux instants successifs ; toujours ils seront séparés par une infinite d'instants ; la substitution est impossible dans la continuité (218a 8-30).

On reconnaît aisément l'origine zénonienne de cette argumentation. Elle oppose à la réalité du temps, considéré comme succession continue d'instants, la difficulté même que Zénon, dans l'argument de la dichotomie, opposait au mouvement. La continuité suppose !'infinité ; elle se conçoit sans peine dans la ligne, qui renferme en puissance une infinité de points, et ne saurait constituer, réplique Aristote à Zénon, un obstacle à l'accomplissement du mouvement ; la ligne n'étant pas actuellement infinie, peut être parcourue en un temps fini, dont la continuité elle-même repose, comme celle de la ligne, sur une infinité toute virtuelle, ici de points, là d'instants (Phys. VI, 2, 233a 21-31 ; VIII, 8, 263a 11-15). Néanmoins, une difficulté subsiste : la continuité de la ligne se fonde dans une coexistence de parties ; elle a, ainsi que ses parties, une réalité indépendante des éléments infinitésimaux, des virtualités qu'y découvre l'analyse ;

 

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