Qu'est-ce que la philosophie analytique?

Qu'est-ce que la philosophie analytique?

Pour identifier cette thèse fondatrice de la philosophie analytique, on peut partir de la phrase qui ouvre le livre de Dummett et qui contient une caractérisation générale de la philosophie analytique qui, 1 Ce texte est une version très légèrement remaniée d'un exposé prononcé le 1er avril 1999 lors d'une journée MAFPEN de l'Académie de Caen consacrée à la philosophie analytique. 2 on va le voir, correspond assez bien à une bonne partie de la production philosophique dite "analytique"3: "Ce qui distingue la philosophie analytique en ses divers aspects d'autres courants philosophiques, c'est en premier lieu la conviction qu'une analyse philosophique du langage peut conduire à une explication philosophique de la pensée et, en second lieu, la conviction que c'est là la seule façon de parvenir à une explication globale4" Le but final de la philosophie analytique serait donc d'atteindre à une " explication globale ". explication Pour y atteindre, il faudrait et il suffirait de produire une philosophique de la pensée ". Et pour produire une telle explication philosophique de la pensée, il faudrait se livrer à une " analyse philosophique du langage ". La philosophie analytique serait donc ce courant philosophique qui se livrerait à une analyse du langage en vue de produire une explication de la pensée qui soit elle-même la clef d'une explication globale. Que faut-il entendre tout d'abord par "explication globale " ? Le sens de cette expression n'a rien de mystérieux. Dans un autre de ces livres, The logical Basis of Metaphysics Dummett remarque que la philosophie analytique ne se distingue pas, quant à ses objets, de la philosophie telle qu'on la pratique depuis les Grecs. Et c'est en effet quelque chose d'indéniable que les philosophes analytiques sont presque les seuls à écrire aujourd'hui des articles ou des livres sur la réalité du monde extérieur, sur la nature de la matière, de l'espace-temps ou de l'esprit, sur l'être des valeurs morales, etc. Par "explication globale ", il faut donc simplement entendre une élucidation de la réalité dans son ensemble ou dans l'un de ses secteurs", c'est-à-dire une ontologie ou une métaphysique spéciale. Le philosophe analytique s'intéresse aux divers objets qui ont traditionnellement arrêté les philosophes : qu'est-ce qu'un corps ?, qu'est-ce qu'un esprit ?, y a-t-il des événements contingents ?, qu'est-ce qu'une connaissance ?, etc. Rien par conséquent d'original de ce côté-là. Ce qui caractérise la philosophie analytique, c'est donc moins son but final, qui est celui même de toute philosophie, mais c'est la voie qu'elle croit nécessaire d'emprunter pour aborder et décider des questions de ce genre.

D'après Dummett, le philosophe analytique, c'est le philosophe qui est convaincu que, pour décider une question relative à l'essence de quelque chose, par exemple à l'essence des nombres ou au mode d'être des états mentaux, il faut se livrer à une analyse de la manière dont nous pensons à ces objets et, plus précisément, à une analyse de la manière dont nous en parlons. L'idée peut sembler manquer d'originalité, parce qu'elle évoque ce qu'on appelle généralement analyse conceptuelle. Or, Aristote, par exemple, se livrait déjà à des analyses conceptuelles pour lever des équivoques, éviter les sophismes, etc. Tout philosophe abordant n'importe quelle question commence en général comme cela. Mais, lorsqu'on dit que pour décider une question d'essence, il faut analyser le sens de ce que nous disons, ce n'est pas d'une analyse conceptuelle classique qu'il s'agit. En effet :

1) l'analyse porte moins sur des notions que sur des propositions ;

2) elle vise moins les caractères ou diverses nuances de sens d'un concept que les conditions de vérité d'une proposition;

3) enfin, l'analyse n'est pas un simple préalable: elle est le tout de l'investigation philosophique. Un exemple canonique d'une telle analyse est fournie par Frege, dans ses Fondements de l'arithmétique.

On peut dire que le livre traite d'une question ontologique ordinaire, à savoir : " qu'estce qu'un nombre ?" et qu'il aborde les diverses solutions traditionnelles possibles à cette question : les nombres sont-ils des entités ou des créations de l'esprit, s'ils sont des entités, quel genre d'entités sontils ?, etc. Mais ce qui fait de ce livre un livre de philosophie analytique et même, aux yeux de Dummett, le premier livre de philosophie analytique, c'est que, pour décider cette question ontologique, Frege pense qu'il faut et qu'il suffit, je le cite," de définir le sens d'une proposition où figure un terme numérique6 ". Autrement dit, pour trancher la question ontologique traditionnelle relative à la nature des nombres, il faut et il suffit de définir ce que signifie une proposition faisant référence à des nombres. Je vais brièvement résumer l'analyse de Frege afin que l'on puisse percevoir, sur cet exemple, ce qu'est une analyse du sens d'une proposition et comment on peut en tirer des conclusions ontologiques. Frege remarque d'abord que dans les propositions où figurent des termes numériques, les nombres ne sont pas prédiqués directement des objets, mais des objets en tant qu'ils tombent sous de certains concepts. Attribuer un nombre, dit Frege, c'est " énoncer quelque chose d'un concept7 ". Pour atteindre ce résultat, Frege compare des propositions comme: " il y a là deux chaussures" et " il y a là une paire de chaussures ou comme "Solon est sage, Thalès est sage, Solon et Thales sont sages et Solon est un, Thalès est un, Solon et Thalès sont un ". Ces comparaisons font ressortir que le rôle sémantique des termes numériques est différent de celui des attributs exprimant des propriétés des objets. Elles le conduisent à son idée qu'il y a une hiérarchie des concepts. Frege en infère qu'il faut distinguer les objets et les concepts. Les nombres sont prédiqués des concepts et non des objets eux-mêmes. La question devient alors : quelle sorte de propriété des concepts sont les nombres ? La difficulté est que les nombres ne peuvent être, à proprement parler, des propriétés. En effet, l'arithméticien considère les nombres comme des objets indépendants, le un, le deux, le nombre pi, etc. Si les nombres ont donc partie liée aux concepts, ils sont cependant des objets indépendants des concepts dont ils sont les nombres. Si le nombre de satellites naturels de la Terre est un, on ne peut dire que le un est essentiellement lié à ce concept: si la Terre n'avait pas existé ou si elle n'avait pas eu de satellite naturel, le nombre un n'en aurait pas été affecté.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

LES ANTÉCÉDENTS

Le tournant linguistique

Qui suis-je